Technique des huiles de fourche

Technique des huiles de fourche

L’huile de fourche est essentielle au bon fonctionnement de la suspension avant d’une moto (sauf pour les petits malins qui roulent en Tesi 3D). Malgré cela, nombreux sont les motards incapables de savoir à quand remonte la dernière vidange de leur fourche, ni quelle huile a été utilisée lors de celle-ci. Une huile de fourche se remplace pourtant tous les 24.000 km, ou tous les 2 ans si ce kilométrage n’a pas été atteint. Malheureusement, il n’est pas rare de trouver des huiles de fourche datant de 5, 6, 8 ans… Quand elle n’est pas d’origine sur une moto de 1969 ! (véridique) Cet article, qui se veut un minimum technique, est destiné aux motards désireux de découvrir, ou approfondir, le sensible sujet des huiles de fourche, et faire le choix d’un produit pour leur prochaine vidange en toute connaissance de cause.

NDLR : cet article ne traite que de l’huile de fourche. Il n’aborde aucunement les différents réglages possibles sur une fourche réglable (pré-contrainte, compression, détente) ou conventionnelle (quantité d’huile et pression de l’air).

(si vous détectez dans cet article la moindre erreur, technique ou orthographique, n’hésitez pas à nous en informer via notre formulaire de contact)


Introduction

Avant toute chose, rappelons que les huiles de fourche sont des huiles monogrades. Contrairement aux huiles multigrades, elles sont efficaces sur un plus faible delta de températures. En effet, une huile moteur peut chauffer à plus de 100°C. Elle subit la friction (et donc le dégagement de chaleur) de nombreuses pièces à très haute vitesse (plusieurs milliers de tours/minute), ainsi que l’énergie calorifique dégagée par les explosions dans les cylindres du moteur. C’est pour ces raisons que l’huile utilisée dans un moteur de moto est multigrade ; elle doit couvrir une large plage de températures.

Une huile de fourche, elle, ne subit qu’un mouvement de translation (la rotation de certaines pièces reste anecdotique) à une fréquence bien moindre que dans un moteur, et le dégagement de chaleur vient en grande partie de la circulation de l’huile elle-même au travers des différents éléments de la fourche (tubes plongeurs, coupelles…). La température utilisée par convention lorsqu’il s’agit de comparer les chiffres des huiles de fourche est de 40°C. Il s’agit de la température moyenne atteinte par une huile de fourche en utilisation sportive sur route, circuit, ou moto-cross. La plage de température en fonctionnement est suffisamment réduite pour se contenter d’une huile monograde.


Rôle de l’huile de fourche

Que demande-t-on donc à une huile de fourche ?
– qu’elle protège les éléments de la fourche de la corrosion
– qu’elle résiste elle-même à la corrosion de l’air contenu dans la fourche
– qu’elle assure son rôle hydraulique (sauf sur les fourches Telelever)
– qu’elle garde ces trois propriétés à température de fonctionnement
– qu’elle garde ces trois propriétés dans le temps


Les caractéristiques d’une huile de fourche

On retrouve généralement sur la fiche technique d’une huile de fourche :
– la densité à 15°C en g/cm³
– la viscosité cinématique à 40°C en mm²/seconde (ou centiStoke)
– la viscosité cinématique à 100°C
– l’indice de viscosité (variation de la viscosité en fonction de la température)
– le point d’écoulement en °C (température minimale à laquelle un fluide s’écoule encore)
– la viscosité dynamique en Pascal.seconde (généralement à 20°C)
– ainsi que parfois d’autres caractéristiques peu pertinentes pour une huile de fourche, comme le taux de cisaillement (pour les huiles moteur indice été) ou la température maximale pour 150k centiPoise (pour les huiles de boîte indice hiver)
– sans oublier les grades SAE et ISO

Point technique : La viscosité cinématique d’une huile est sa capacité d’épanchement (à se répandre uniformément sur la surface d’une pièce par exemple), lorsqu’elle perd cette capacité, elle est dite « cisaillée ».
La viscosité dynamique est sa résistance à l’écoulement. C’est ce que l’on désigne généralement dans le langage commun lorsque l’on parle d’une huile bien visqueuse, en opposition à une huile trop fluide.


La densité

La densité d’une huile de fourche est une résultante du travail accompli sur l’huile. Les fabricants pétroliers n’essayent pas d’atteindre une certaine densité en particulier, et les préparateurs n’y accordent guère d’attention quand ils étudient différentes huiles pour optimiser une fourche. Elle dépend surtout des additifs utilisés. À grade SAE égal, les densités de différentes huiles sont très proches.


La viscosité cinématique à 40°C

C’est la valeur qui va le plus nous intéresser. Elle indique l’efficacité de l’huile à la plage de température de fonctionnement d’une fourche. Mais la norme SAE ou ISO d’une huile ne dépend pas de cette viscosité ! Nous reviendrons un peu plus tard sur l’intérêt de cette valeur.


La viscosité cinématique à 100°C

C’est la valeur qui utilisée par les normes SAE et ISO pour déterminer le grade d’une huile. Elle est plus intéressante pour les huiles moteur, qui atteignent effectivement ces températures, mais reste pertinente dans le domaine des huiles de fourche car donne une idée de la qualité de l’huile de fourche grâce au point suivant.


L’indice de viscosité

Il s’agit d’une une échelle qui indique le degré de variation de la viscosité cinématique d’une huile en fonction de sa température. Les mesures sont prises à 40 et 100°C, et l’indice est calculé sur la variation entre ces deux valeurs. Plus l’indice est élevé, plus la viscosité reste stable lorsque la température augmente. Il est un excellent indicateur de la qualité d’une huile. Les préparateurs sont à la recherche de l’indice le plus élevé possible car il leur assure que leurs réglages seront aussi efficaces en début de course, à basse température, qu’aux moments les plus forts de la compétition lorsque la fourche sera fortement sollicitée et montera en température.

Les normes SAE et ISO ne dépendent pas de cet indice !

Attention : sur certaines pages internet de sites marchands, on peut trouver indiqué « indice de viscosité 10 » ou « indice de viscosité 15W ». Ce sont des grades (SAE en l’occurrence), pas un indice de viscosité. Il s’agit d’un abus de langage qui ne laisse pas témoigner d’un grand professionnalisme de la part de ces revendeurs.


Le point d’écoulement

À prendre en compte si l’huile doit être utilisée l’hiver sous des latitudes peu clémentes. En effet, une 15W se fige en-dessous -25°C. En cas d’utilisation dans ces conditions (hivernale, road-trip au Cap Nord…), il faut envisager une huile plus fluide qui aura un point d’écoulement plus bas (-40°C pour une 0W).


La viscosité dynamique

Curieusement, elle n’est que rarement indiquée sur les fiches techniques d’huile de fourche. Sans doute pour ne pas embrouiller le consommateur avec les deux types de viscosité. Sa mesure est pourtant nécessaire pour la validation par la norme SAE. Sa valeur est exponentielle par rapport à la viscosité cinématique : plus une huile résiste au cisaillement, plus elle est visqueuse.


Les normes

Les huiles à destination mécanique sont régulées par deux normes. La SAE (Society of Automotive Engineers) et la ISO (Organisation internationale de normalisation). C’est la première, la SAE, que l’on utilise couramment lorsque l’on doit catégoriser une huile de fourche, mais il arrive que le grade ISO soit également noté sur un bidon d’huile de fourche.
5, 10, 15… Mais aussi 2.5 ou 7.5. On les retrouve également sous l’appellation 10W ou 10wt. Dans tous les cas, c’est la valeur numérique qui nous intéresse ; celle du grade SAE. Plus le nombre est élevé, plus l’huile est visqueuse.


La limite des normes SAE et ISO

Cette méthode de catégorisation des huiles présente deux importants inconvénients lorsqu’elle est appliquée aux huiles de fourche :
– le grade d’une huile est déterminé en fonction de sa viscosité cinématique à 100°C, alors qu’une huile de fourche ne monte jamais à cette température
– pour être catégorisée en tant que grade X, une huile doit présenter une viscosité cinématique à 100°C « supérieure à » une valeur donnée, et non pas « égale à », ou « comprise entre tant et tant », et c’est là que le bât blesse

Pour éclaircir ce dernier point, c’est comme si l’on admettait que votre équipementier puisse vous vendre une paire de bottes en 45, alors que vous chaussez du 42, au prétexte que vous rentrez dedans. Selon cette logique, toutes les bottes dont la pointure est supérieure à 42 sont compatibles avec votre pied. Ce n’est pas totalement faux, mais ça manque un tantinet de précision. Il en va de même pour les grades d’huiles de fourche.

Prenons un petit exemple :
Une huile Bel-Ray HVI 10W a une valeur de 10 cSt à 100°C.
Pour être normé au grade SAE 10W, une huile doit avoir plus de 4.1 cSt à 100°C. Donc c’est bon.
Mais pour être normée 15W, elle doit avoir plus de 5.6 cSt. Donc en fait c’est une 15W !
Mais pour être normée 20W…
Trêve de suspense, cette huile atteint le stade de la 25W !

Quant à sa viscosité cinématique à 40°C, elle est de 33.5 cSt. Soit trois fois plus visqueuse. On est bien loin des 10W annoncés. Le problème vient du fait qu’il n’existe pas de norme spécifique aux huiles de fourche, et que les fabricants pétroliers se contentent d’utiliser celles des huiles moteur pourtant inadaptées à renseigner correctement le consommateur sur ce qu’il achète.


Les données fabricants

Chez Bel-Ray toujours, pour la HVI (racing), la 3W est en réalité une 5W, la 5W est en réalité une 15-20W, et leur 15W dépasse allègrement le grade 30W ! En revanche, leurs huiles classiques (route), sont plus proches de la réalité (un poil au-dessus quand même). Mais c’est parfaitement légal, parce que la valeur est supérieure à ce que demande la norme. Le fabricant est ensuite libre de choisir dans quelle catégorie inférieure il veut classer son huile. Il faut tout de même spécifier que les indices de viscosité sont 2 à 3 fois supérieurs pour la racing par rapport à la classique pour une norme SAE réelle équivalente.

Sachant que tout le monde fait ce qu’il veut, dans la limite de la légalité bien entendu, d’une marque à l’autre, et même d’une gamme à une autre chez un même fabricant, un grade SAE identique peut avoir des propriétés totalement différentes. Le problème étant que le consommateur lambda peut difficilement s’y retrouver. Si vous rouliez avec une 5W de la marque X, et que vous passez sur une 7.5W de la marque Y dans l’espoir de raidir votre suspension, il se pourrait que vous soyez passé d’une 15W réelle à une 10W réelle, et il sera alors impossible de faire coïncider votre ressenti à l’utilisation avec les données que vous avez en votre possession.

Parce que j’aime bien les analogies : vous demandez à votre boucher un steak de 200 grammes, qu’il vous fait payer au prix des 200 g pour ne pas être traité de voleur qui force à la vente, mais il vous en met 250 parce que vous êtes un client sympathique, tout en omettant de vous en informer (ce qui serait bête parce que vous ne saurez pas qu’il a fait un geste commercial et vous ne lui serez pas plus fidèle, mais je trouve ce que je peux comme comparaison hein). À l’heure du repas, vous mangez votre steak et vous avez encore faim après. En conséquence, la semaine prochaine vous commanderez un steak de 225 g.

Mais cette fois votre boucher n’a pas d’excédent, et vous sert réellement un steak de 225 g. Et après l’avoir mangé, vous avez encore plus la dalle que la dernière fois : les données en votre possession et le ressenti que vous avez sont en contradiction. Pire : si vous suiviez un régime particulier et ne vouliez pas dépasser les 200 g de steak, votre boucher est venu foutre le bordel dans vos apports nutritifs sans même que vous le sachiez (et pas dans la colle).


L’importance de l’indice de viscosité

En gardant à l’esprit que les chiffres ci-dessus sont des grades donnés pour une température de 100°C, et que nous utilisons cette huile autour des 40°C, on pourrait penser que deux huiles 10W réelles (à 100°C donc) sont toutes deux des 30W réelles (par exemple) en utilisation (à 40°C donc). Mais rien n’est moins faux.

En effet, en fonction des additifs utilisés, de la qualité des matières premières, du processus de fabrication… différentes huiles présenteront un delta plus ou moins important entre leur viscosité cinématique à 40°C et à 100°C. Cette différence est représentée par l’indice de viscosité. Plus il est élevé, moins le delta est important entre les deux viscosités. Ce paramètre est primordial, parce qu’il donne une idée de la stabilité des caractéristiques de l’huile en fonction de la température.

Une huile avec un grand indice de viscosité se comportera de manière relativement similaire qu’elle soit à 30 ou 50°C (températures mentionnées au hasard pour la démonstration). Tandis qu’une autre avec un indice trop faible pourrait se montrer trop dure au départ d’une course, et bien trop molle après plusieurs freinages appuyés ou une succession de sauts. Un pilote préférera donc une viscosité cinématique la plus stable possible afin que ses suspensions se comportent, autant que faire se peut, de la même manière quelles que soient les circonstances. C’est pourquoi les préparateurs en suspensions recherchent l’indice de viscosité le plus élevé possible pour les huiles de différents grades qu’ils utilisent lors de leurs réglages.

Par exemple, si on étudie les indices de ces deux huiles (en admettant que leur grade réel soit similaire) :
– Honda Pro High Performance 5W : 115
– RockShox 5W : 280
Il sera plus intéressant d’utiliser la seconde, qui aura des caractéristiques plus constantes malgré les variations de température en utilisation.

À savoir que si la tenue dans le temps d’une huile de fourche est difficilement quantifiable, parce que dépendante de la conduite de chaque pilote, du nombre de kilomètres qu’il fait par an, etc. On considère que celle-ci est liée à sa tenue à la température, ou indice de viscosité. On peut en effet comprendre que plus une huile est capable de rester stable à la montée en température, plus elle sera capable de résister aux dégâts que la chaleur provoque avec le temps. Dans tous les cas, nous rappelons qu’une huile de fourche se change tous les 24.000 km, ou tous les 2 ans. Même si elle ne roule pas, l’humidité de l’air contenu dans la partie supérieure de la fourche aura raison de ses propriétés chimiques.

Le graphique ci-dessus présente près de 80 huiles différentes, ainsi que leur viscosité cinématique à 100°C (petit trait foncé à gauche) et à 40°C (long trait clair qui s’étend vers la droite). On constate aisément au premier coup d’œil qu’il existe une grande différence de tenue à la température entre les huiles du haut, et celles du bas, du graphique. Bien entendu, les dernières sont de bien meilleure qualité et sont vendues beaucoup plus chères.


Choisir son huile de fourche

Tous ces paramètres en tête, comment choisir correctement son huile de fourche ? Tout dépend en premier lieu de votre profil de pilotage.

Si vous êtes un pilote routier à la recherche d’efficacité, vous pouvez commencer par vous renseigner au sujet de l’huile préconisée d’origine par le constructeur pour votre modèle de moto. Ce sont des ingénieurs expérimentés qui ont choisi cette huile, et l’on peut raisonnablement se fier à leur travail. En partant de cette huile, vous pourrez en ajuster le grade ultérieurement en fonction de votre ressenti, en utilisant la même marque et la même gamme d’huile. En effet, sur une même gamme, les grades réels sont proportionnels aux grades indiqués, et vous êtes sûrs, si vous passez d’une 10W à une 12.5W, de ne pas vous retrouver avec une huile plus fluide que la première.

Si cette huile est difficile à se procurer, ou trop chère à votre goût, vous pouvez en étudier la fiche technique. À partir de la viscosité cinématique à 40°C de l’huile d’origine et de son indice de viscosité, vous pouvez chercher une huile d’une autre marque aux valeurs similaires, voire avec un indice de viscosité plus élevé. Vous pourrez ensuite en changer le grade selon que vous trouvez la fourche trop dure, ou trop molle, en utilisant toujours la même marque et la même gamme d’huile.

Si vous êtes un pilote sportif à la recherche de performance, et que vous ne souhaitez pas faire appel à un préparateur en suspensions, renseignez-vous sur la viscosité cinématique à 40°C de l’huile préconisée d’origine, et cherchez-en une s’en approchant avec l’indice de viscosité le plus élevé possible. Puis, si nécessaire, variez-en le grade avec une huile toujours de la même marque et de la même gamme.

À noter : bien que le sujet ne soit pas abordé dans cet article, la recherche du grade optimal n’est rien sans un réglage adapté de la fourche.


Exemples absurdes

Pour ne pas dire arnaques. Ci-dessous quelques exemples qui sont la preuve qu’il ne faut pas se fier aux indications des fabricants pétroliers sur l’étiquette de leurs huiles de fourche, mais bien prendre le temps d’étudier la fiche technique de chaque produit avant de s’en servir.

Les indices de viscosité :
– Silkolène Pro RSF 15W : 233
– Motorex Racing 15W : 160
Deux huiles de gamme « racing », deux grandes marques, mais des performances qui n’ont rien à voir.

Les gammes :
– Maxima Bicycle 15W
– Maxima Moto 15W
– Maxima Racing 15W
Trois différentes gammes de la même marque, mais qui sont en réalité une seule et même huile. Seule l’étiquette est différente. Et le prix bien entendu.

Les marques :
– RockShox 10W
– Torco RFF 15
En réalité, il s’agit de la même huile. Mais l’une a été rebrandée par l’autre avec un grade différent. Alors que les deux sont de la 20W réelle. Une preuve que les fabricants sont libres d’indiquer plus ou moins n’importe quoi sur leurs produits.

Toutes ces affirmations sont vérifiables en examinant la fiche technique de ces huiles.


Conclusion

L’offre en huiles de fourche est très large, et il y a en réalité très peu de mauvaises huiles. L’important est de prendre conscience de ce qui caractérise une huile pour la choisir en toute connaissance de cause. Et désormais, lorsque vous entendrez prononcer une phrase du type : « Ta fourche est trop souple ? Mets de la 15 à la place de la 10. » Vous saurez que ça ne veut strictement rien dire.

ADV Moto espère que cet article aura su répondre à toutes vos interrogations sur ce sujet un brin technique, mais n’hésitez pas à nous poser vos questions ou nous demander conseil via notre formulaire de contact, téléphone, Facebook, ou Instagram.

1 COMMENTAIRE

comments user
Evrard

Bonjour,
Article bien réalisé et très précis.
A la portée de tous pour une information complète.
Merci

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